“J’irai cracher sur vos tombes” est un titre qui ne laisse pas de marbre. Piqué de curiosité, on veut forcément savoir ce qui se cache derrière cet intitulé effronté : phrase d’accroche commerciale ? Sensationnalisme ? Provocation bête et méchante ?
La réponse est plus simple, cela dit. Le titre ne fait que refléter la nature du contenu de l’œuvre de Boris Vian, s’exprimant ici via l’un de ses pseudonymes, Vernon Sullivan, un prétendu auteur américain dont il se charge de la traduction française. Après lecture, pas de mensonges sur la marchandise: ce titre n’est pas fait pour les jeunes têtes blondes, et on en veut pour preuve son interdiction en 1949, trois ans après sa parution, et la condamnation de son auteur pour outrage aux mœurs. Car oui, le livre peut s’avérer très sale, violent et amoral. Petites sensibilités, s’abstenir.
En empruntant la plume débridée de Vernon Sullivan, Vian fait un tour du côté de la cause noire chez les blancs américains, le temps d’un roman. Il n’est pas question pour autant de défendre l’un ou de faire l’apologie de l’autre, ni d’essayer de joindre les deux bouts qui s’électrisent au moindre contact. Le racisme est alors un contexte historique, une réalité sociale, dont se sert l’auteur pour nous raconter l’histoire de son personnage loin d’être subtile.
C’est l’histoire d’un homme sexy, trop sexy
Lee Anderson est un jeune homme de 26 ans issu d’une famille noire dans le sud étasunien. Malgré sa race, le teint très clair de sa mère mulâtresse lui a donné une peau quasi blanche, qui le confondrait sans problème avec un blanc pure souche. Suite à un événement tragique et central du récit (que l’on taira pour des raisons évidentes), Lee est contraint de quitter sa ville natale et les siens, pour aller se refaire ailleurs, là où ses origines et ses démons ne sont pas notoires. Cependant, ce départ n’est qu’un prétexte à quelque chose de plus grand, la première pierre d’un sombre édifice érigé au nom de la vengeance rédemptrice. Une vengeance terrible qui donnera à l’ouvrage ses lettres les plus sordides et ses passages les moins moraux.
Pour vous donner une idée du personnage qu’est Lee Anderson, pensez au redoutable charmeur Georges Duroy dans “Bel-ami” de Guy de Maupassant, le côté carriériste en moins. Ce Casanova est naturellement attirant, toutes les filles tombent comme des mouches. Des mouches à qui il fait faire tout ce qu’il veut, leur dévotion n’ayant d’égal que sa malice. Cette faculté de contact sera son fer de lance pour accomplir son projet, un projet dont on ne vous donnera pas suite ici.
Sois beau et tais-toi
“J’irai cracher sur vos tombes” est dénué de tout artifice littéraire. L’auteur se contente du strict minimum de la description, pose ses dialogues sans ambiguïté, donne corps et matière à son récit de telle sorte que nous sommes tout de suite embarqués dans l’aventure. Cette force brute peut aussi se muer en défaut chez ceux qui cherchent l’entre-deux lignes. Il n’y transparaît aucune intelligence, presque pas de sous-entendus.
Ce point fâcheux aurait pu être négligeable si le titre se targuait d’autres forces. Mais là encore, pas d’originalité, pas d’ellipse, pas de rebondissements, rien n’est fringuant là-dedans. On voit au loin l’objectif du personnage, et on s’y dirige droitement, sans détour, sans fioriture, sans que rien ne vienne mettre en danger son dessein. L’auteur est tout aussi résolu que son propre personnage à aller droit au but, et la brièveté du livre en est une conséquence directe.
Alcohol, Sex & the wealthy sin city – adult only-
Autre élément qui caractérise le bouquin, son sens de l’érotisme qui peut partir très loin. Pas un chapitre ne passe sans que le héros n’ait d’ébats avec une ou deux filles pour assouvir ses pulsions, la plupart étant des mineurs consentantes. Si cela peut commencer à embarrasser les plus puritains, que dire du passage très dérangeant qui implique des actes sexuels forcés, des viols autrement dit, sur deux petites filles d’onze et douze ans, qu’on paye pour qu’elles offrent leurs corps, non formés, à de riches pervers et ce, dans l’impunité la plus totale ? Une autre scène dépasse même le cadre du viol, qui vire au meurtre d’une violence écœurante, à faire flancher un buffle. Celle-là, nous vous laissons le déplaisir de la découvrir par vous-même.
Vous comprendrez dès lors pourquoi le roman a eu à subir la censure, une fois que le bouche-à-oreille a opéré. Pourquoi il a été interdit puis publié dans des versions édulcorées. De même pour les accusations et poursuites judiciaires pour outrage aux mœurs dont a fait l’objet Boris Vian. Le livre est très cru, que ce soit dans son érotisme qui effleure la pornographie (sans y succomber), ou dans ses mises à mort qui n’épargnent en rien le lecteur en détails et en description.
Conclusion : J’aurai votre peau, vous qui n’aimez pas la couleur de la mienne
Que penser alors de “j’irai cracher sur vos tombes” ? Est-ce un indispensable littéraire ?Absolument pas. Est-ce un livre marquant ? Idéologiquement, certainement pas. Toutefois, les scènes les plus crues sauront se garder un coin humide dans votre esprit, qu’on espère déjà pas torturé. Est-ce que nous le conseillons ? Oui, mais à une condition : que vous cherchiez un livre trash, qui mêle érotisme et vengeance, sans s’occuper d’aucune limite morale ni éthique, et bien sûr, que vous soyez psychologiquement stable.
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