Le 9 Octobre 1940, dans les faubourgs de Liverpool, naissait John Winston Lennon, futur époux, futur père, future légende. C’est cette date anniversaire que Hunter Davies, biographie officiel des Beatles, a choisi pour la sortie de son dernier livre.
Sobrement intitulé « Les Lettres de John Lennon », le recueil, comme son nom l’indique rassemble plus de 250 documents inédits signés de la main de l’enfant terrible de Liverpool. L’occasion de découvrir de nouvelles facettes du plus génial des Beatles.
De ses premières lettres maladroites à Cynthia, sa première épouse, au dernier autographe signé à quelques heures de sa mort. De ses courriers cruels à son père aux messages acerbes adressés à Paul. De ses débuts hambourgeois à sa période mystique indienne : Au regard des 250 documents rassemblés par Hunter Davies, c’est le portrait d’un Lennon nouveau qui se dessine à nous. Tantôt drôle, tantôt tourmenté. Tantôt spirituel, tantôt naïf, c’est la personnalité extrêmement complexe et créative de l’auteur d’Imagine qui apparaît sous nos yeux.
Pour leur grande majorité inédits, ces documents, dont l’assemblage nécessita un travail titanesque de deux ans, proviennent de collectionneurs, de journalistes, de fans, des archives personnelles de Yoko Ono ou des anciens Beatles ou encore…du teinturier personnel du musicien !
Lennon qui se prédestinait à une carrière journalistique était un boulimique de l’écriture. Inutile donc de préciser que l’auteur a du exclure de nombreux documents pour n’en retenir qu’une « poignée ».
On pénètre ainsi dans l’intimité du jeune John Lennon, élevé très tôt par sa tante Mimi, du voyou de Liverpool se baladant sans ses lunettes, de l’amoureux de Cynthia Powell, du militant pacifiste, du « papa-gâteau », du fondateur des Quarrymen…
« And I needa job, So I want to be a paperback writer » chantaient les Fab-Four en 1966. Près de 50 ans plus tard, Davies réalise donc le rêve de John.
Soixante-douze ans. C’est l’âge qu’aurait eu aujourd’hui même John Lennon s’il n’avait pas rejoint un funeste soir de décembre 1980 son appartement new-yorkais du Darkota Building.
50 ans après la sortie de «Love me do», le premier 45-tours des Beatles, c’est en somme un très bel hommage qui célèbre ce double anniversaire.
Extraits :
Le séjour en Inde de Paul McCartney (de début février à la mi-mars 1968), John Lennon et Georges Harrison (jusqu’à avril), à Rishikesh chez le Maharishi, ne fut pas du temps perdu: ils y composèrent de nombreuses chansons qu’on retrouve sur “Abbey Road” et le “White album”. D’où cette carte postale envoyée par John à Ringo Starr, qui était rentré en Angleterre au bout du dix jours. (©Yoko Ono Lennon, 2012)
« Ecrase, McCartney !»
A Cynthia, avril 1962. Hambourg
Chère Cyn,
Je t’aime, t’aime, t’aime et tu me manques à la folie. Où es-tu ma douce? […] Le club est gigantesque et nous ne jouons que 3 heures par nuit, puis 4 heures la suivante – mais comme nous faisons des breaks d’une heure, le temps passe vite. […] Bon dieu, je suis claqué, il est 6 heures du matin et j’ai envie de toi.
[…] Je t’aime Cyn Powell et j’aimerais bien être en route pour aller chez toi avec les journaux du dimanche, des chocolats et un braquemart d’enfer! Oh que oui ! J’ai oublié de te dire que je m’étais offert un manteau en daim avec une ceinture, comme ça je vais te ressembler! Paul a sauté au-dessus de ma tête (il est dans la couchette juste au-dessus et il ronfle) et je n’arrive pas à trouver une position confortable pour écrire, tellement on est coincé sous l’escalier. Ecrase, McCartney! Ronf, ronf. […]
Quelle affreuse cité, cette Hambourg où nous résidons!! Tout mon amour pour l’éternité et après.
«J’ai eu tout faux»
A Cynthia, août 1965. Los Angeles
[…] Aujourd’hui, [Julian] me manque plus en tant que personne que comme enfant ou comme le bébé qu’il n’est plus. Il est comme une part de moi, il est Julian, il est tout ce qui compte, je n’en peux plus d’attendre de le voir, il me manque comme il ne m’a jamais manqué – je pense que ça fait partie du long processus pour devenir un vrai père! J’espère que tout cela est assez clair et compréhensible. Moi qui passe mon temps dans des loges, à repenser au temps que j’ai perdu loin de lui – où je n’ai pas joué avec lui.
Tu sais, je repense à tous ces moments merdeux passés à lire ces maudits magazines pendant qu’il était juste à côté de moi. Je m’aperçois maintenant que j’ai eu tout faux. Il ne me voit pas assez alors que j’ai envie de me rapprocher de lui et qu’il m’aime et que je lui manque, comme vous me manquez tous les deux.
Je vais m’arrêter là car je me fais du mal à penser au con sans coeur que j’ai l’impression d’être – et il est seulement 3 heures de l’après-midi, ce n’est pas le meilleur moment pour être si sentimental – j’ai vraiment envie de pleurer, c’est stupide – et j’ai la gorge serrée en même temps que j’écris – je ne sais pas ce qui m’arrive – cette tournée n’est pas si différente des autres – avec beaucoup de moments de rigolade sans raison (tu vois le genre hi! hi!); mais entre les rires c’est la grosse déprime – on dirait qu’il n’y a rien entre ces deux extrêmes. Bon, j’y vais là, sinon la lettre va finir par être rasoir.
Je vous aime beaucoup tous les deux.
En bref
Carte postale pour Ringo, 1968. Inde
Cher Ringo, Mo Zack,
Je t’envoie une petite vibration indienne. On a écrit assez de chansons pour deux albums, donc prépare tes fûts. Peux-tu demander à Dot de faire en sorte que mon magnétoscope fonctionne (j’ai oublié de le lui dire). Toujours pareil ici, Denis a obtenu son mantra et tout est super. On a aussi trouvé un scénario de film.
Amitiés sincères John et Cyn
les autres xxx
A Lee Eastman, 1968
Cher Lee,
Évitezs’il vous plaît d’envoyer des parutions Apple, sans mentionner John/Yoko – Plastic Ono Band, Paul/ Linda/Blues [?] Band – etc.
Je ne veux pas entendre parler des Beatles comme s’ils existaient encore – ok? […]
J’envoie la même recommandation à Peter Howard et au staff d’Apple.
Amitiés
J & Y
A Sa Majesté la Reine, 25 novembre 1969
Votre Majesté,
Je vous retourne ma M.B.E. [équivalent de la Légion d’honneur] en signe de protestation contre l’engagement de la Grande-Bretagne dans l’affaire Nigeria-Biafra, contre l’aide apportée par notre pays aux Américains au Vietnam et contre le fait que «Cold Turkey» soit en train de sombrer dans les charts.
Cordialement
John Lennon
«Descends de ton disque d’or, Paul !»
A Paul et Linda McCartney, 1971?
Chers Linda et Paul,
Je lisais votre lettre en me demandant quelle sorte de fan malade des Beatles d’âge moyen avait bien pu l’écrire. Et j’ai résisté à la tentation d’aller en voir la signature pour le découvrir. […] C’est quoi ce délire – c’est Linda!
Vous croyez vraiment que la presse nous soutient vous comme moi? Vraiment? Qui pensez-vous que nous soyons vous comme moi? Quant au passage sur «Notre ami auto-complaisant qui ne s’aperçoit pas du mal qu’il provoque» – j’espère que tu te rends compte de la merde dans laquelle toi et mes gentils et désintéressés amis nous avez mis Yoko et moi, depuis que nous sommes ensemble. […] Linda – si ce que je dis ne t’intéresse pas – ferme-la! – laisse donc Paul s’exprimer par écrit – ou autre. […] Je n’ai pas du tout honte des Beatles – (c’est moi qui ai lancé le groupe) – mais j’ai honte de toute la merde que nous avons endurée pour devenir si énorme – je croyais que nous en avions tous souffert à divers degrés – visiblement non.
Tu crois pouvoir affirmer que l’art d’aujourd’hui est apparu à cause des Beatles? Je ne te crois pas aussi cinglé – Paul – tu penses vraiment cela ? Quand tu arrêteras de le croire, tu te réveilleras! N’avons-nous pas toujours dit que nous étions une partie du mouvement – et non pas le mouvement dans son entier? Bien sûr que nous avons changé le monde – mais il serait temps d’essayer de le suivre DESCENDS DE TON DISQUE D’OR ET APPRENDS A VOLER!
[…] Excuse-moi si je me sers de l’«espace Beatles» pour parler de ce qui me préoccupe […]. Je sais que les Beatles sont des gens charmants, j’en ai fait partie, mais ce sont aussi de gros bâtards comme tous les autres, alors descends de ton piédestal!
Et au fait, nous avons tous trouvé plus de stimulation intellectuelle dans nos nouvelles activités depuis un an que pendant toute la période des Beatles. […]
Alors fais rentrer ça dans ton joli petit esprit pervers, madame McCartney – ces sales connards m’ont obligé à me taire sur mon départ. Bien sûr, il y a la question de l’argent – importante pour nous tous – spécialement après le merdier semé par ta famille et ta belle-famille de cinglés – et si DIEU NOUS VIENT EN AIDE, PAUL – d’ici deux ans, tu en seras sorti.
Alors, malgré tout,
Je vous aime tous les deux.
De notre part à nous deux
PS : Alors, tu comprendras qu’adresser ta lettre à moi seul – faut que ça cesse…!!!
Alcool, drogues et bébé
A sa cousine Leila, 30 juillet 1975. New York
Chère Leila
Alors te voilà, vieux gendarme. […]
Je voudrais juste te dire que je ne suis pas un gros buveur… normalement… même si l’an dernier c’était… euh… particulier… cette année, je carbure à l’eau. Mais j’aimerais aussi que tu me cites de très grands ou de grands artistes qui n’ont pas, comme tu dis, des «faiblesses de caractère»!!!! Je préfère quand même les champignons aux drogues… un peu comme Aldous Huxley… Je ne crois pas au mythe disant qu’il suffit d’avaler n’importe quelle prescription médicale pour se soigner (la plupart abusant des barbituriques… comme des amphétamines… voire des deux!); en fait, je n’utilise rien, même pas d’aspirine. J’ai eu des problèmes d’addiction à la drogue dont je me suis sorti tout seul, sans faire appel aux sorciers de la médecine! […]
Je crois que je vais reprendre des leçons de piano… j’en joue, mais juste avec huit doigts… j’ai appris tout seul et je me débrouille comme un manche. (Mimi n’a jamais voulu que j’en aie un à la maison, elle trouvait cela trop commun!) Elle pense toujours que j’ai eu «de la chance», à savoir aucun talent! … c’est un miracle que je ne sois pas devenu un VRAI JUNKIE… elle avait toujours envie de castrer tout le monde (hommes comme femmes) et de mettre leurs «couilles» dans la tarte aux pommes! […]
Ah oui, j’oubliais, le bébé va naître en novembre! Il a été conçu le 6 février.
«J’espère que la vie commence à 40 ans»
A sa cousine Leila, janvier 1979. New York
Janvier 79, bien avancé.
Chère Leila,
Il neige ici – derrière la baie vitrée sur Central Park – je peux voir l’hôtel Plaza de l’autre côté – c’est magnifique. […] Sean est un beau petit garçon de 3 ans (né le 9 octobre, au cas où tu l’aurais oublié) – mais comme il est épuisant – je ne sais pas comment tu te débrouilles avec tous les tiens! […] J’aurai 40 ans l’année prochaine – j’espère que la vie commence là -, à savoir, un petit peu moins tumultueuse et plus – je ne sais pas quoi d’autre. […]
Plein d’amour pour toi et les tiens
Je suis sûr qu’on va finir par
Se croiser – tôt ou tard – d’une façon ou d’une autre
Je suis un peu effrayé de venir en Angleterre
Car je sais que ce sera la dernière fois que je verrai Mimi –
Je suis très trouillard avec les adieux.
Passe une bonne année
Et garde la santé
John
Bises de Sean et Yoko.
Troublant de le voir écrire “J’aurai 40 ans l’année prochaine – j’espère que la vie commence là ” alors qu’il meurt précisément à 40 ans :/
La lecture de ces quelques extraits donne clairement envie de lire le reste, précisément pour la deuxième partie de sa vie (post-beatles)