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Bouchène vu par Yasmine : d’une culture à une autre

1994. Année de braise. Alger vit sous la menace terroriste. Un intellectuel, maintes fois menacé, fait ses bagages pour Tunis. Cet intellectuel, c’est Abderrahmane Bouchène. Un grand oncle que je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer, et qui aura sacrifié une grande partie de sa vie pour son pays, et en particulier son Histoire.

Il y a quelques semaines, un SOS a été lancé par ses amis sur les colonnes d’El Watan. La maison d’édition qu’il a fondé à Alger à la fin des années 80 se meurt…à Paris, faute de financement.

Une maison d’édition, un nom mais surtout des auteurs prisés, édités en Algérie pour la première fois par ce Kabyle natif d’Alger. Kateb Yacine, Mouloud Mammeri ou encore Mouloud Feraoun sont réédités localement et leurs œuvres rapatriées sur leur sol.

En plus de l’édition de livres autour de la sociologie et de l’Histoire du pays, Bouchène les distribue à travers deux librairies qu’il ouvrira à Alger, dont une située dans l’incontournable lieu de l’époque: Riad El Feth.

Ce joli tableau finira par tourner court. Bouchène sort “L’affaire Mecili” de Hocine Aït Ahmed en 1991. Succès public immédiat et 10 000 exemplaires vendus. Mais cette soudaine notoriété attire le regard du gouvernement de l’époque et son bail à Riad El Feth n’est pas renouvelé, à l’heure où la fronde islamiste continue de monter.

Malgré les menaces persistantes envers les intellectuels et les premiers morts au rang des écrivains et journalistes, mon oncle refuse de quitter Alger, jusqu’au matin où un islamiste se présente devant sa porte. Bouchène a la chance de ne pas se trouver chez lui à ce moment-là. Son frère reçoit le message du terroriste à sa place: “ Dis à ton frère d’arrêter ses hérésies”.

L’éditeur n’a plus le choix. Il embarque femmes et enfants vers Tunis, afin de ne pas “avoir à ressentir l’exil”.

Deux ans plus tard, cela sera Paris, où il relance la Maison d’édition avec toujours la même passion mais sans grands moyens. Pas de salarié, un chiffre d’affaires qui permet à peine de subvenir aux frais de la société et de sa famille. Malgré cela, Bouchène édite une vingtaine de collections autour de l’Algérie, son Histoire, ses histoires, afin de mettre en avant des anecdotes méconnues d’un pays qui vit “une famine culturelle”.

L’année 2015 connaîtra probablement la mort de ce beau projet que fut les éditions Bouchene, mais elle continuera de ressentir le même besoin, celui de la vulgarisation d’une Algérie autre que celle que l’on s’entête à nous vendre. Une aventure commencée il y a 4 ans. La petite nièce, Yasmine, veut réussir et continuer sur le chemin tracé par le grand oncle.

Vinyculture a de nombreux points communs avec les éditions : un projet commencé par passion, peu de financement et cette fureur et détermination de mettre en avant une Algérie moderne et VIVANTE.

Non, ils n’ont pas tué mon oncle. Non, ils n’ont pas réussi à nous faire taire ou nous terrer chez nous indéfiniment. Nous nous réapproprions peu à peu la rue, les musées et les salles de spectacle. D’une culture à une autre, d’un Bouchène à une autre, une renaissance est encore possible.

Écrit par vinyculture

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