Notre critique littéraire du jour s’intéresse à la cinquième œuvre publiée par Milan Kundera : l’insoutenable légèreté de l’être.
Qu’est-ce qui nous pèse et qu’est-ce qui nous libère ? Cherchons-nous l’amour réel et sincère ou l’aventure légère et fugace ? À quel point nous nous ignorons et jusqu’où sommes-nous capables de nous découvrir ? Qui pour avoir le courage de lever le voile sur son “moi” nu ?
Voilà quelques-unes des multiples interrogations que se pose Milan Kundera dans son roman psycho-philosophique “L’insoutenable légèreté de l’être”. Vous cherchez une lecture profonde qui vous pousse à la remise en question constante, une lecture à la fois facile et très enrichissante et ce, grâce à un panel de personnages fictifs mais réalistes et crédibles ? Vous tombez bien, Kundera a justement ce qu’il vous faut et a mis tous les bons ingrédients dans sa remarquable cinquième œuvre.
Je suis parvenu au bout des quelques 450 pages de ce récit en format poche. 450 pages durant lesquelles je voguais entre les petits caractères resserrés dans l’esprit de l’Auteur. Un riche esprit habité d’une histoire psychologiquement sophistiquée, d’un propos couché au pluriel sur des thèmes majeurs de la vie d’un homme, de la vie d’une femme, de l’union des deux dans leur ensemble individuel. Je suis arrivé au bout du voyage, et je le partage avec vous.
Faisait-il bon de vivre à Prague en 1968 ?
L’écrivain naturalisé français en 1975 est un homme d’idées, et pour nous en faire part, il passe par deux moyens : d’abord en allant puiser dans son identité tchécoslovaque, ensuite en empruntant des personnages qui incarneraient ses pensées intimes. Ce qui est intéressant avec la dernière méthode, c’est que le lecteur n’est pas confronté à l’égo d’un penseur qui pose sa réflexion comme une sorte de dogme, mais embarque dans un manège empli d’observations. On suit les histoires de Tomas, Tereza, Sabina et de Franz en même temps que se dessinent en toile de fond les réelles méditations de l’auteur. Le tout est amené petit à petit à notre attention, avec les événements touchant le quatuor.
Je croyais enlever mon masque, je me suis arraché la peau
Le point le plus important de l’œuvre est le rôle qu’occupent les personnages. Ils sont le pilier de tout ce qui sera dit, et l’appréciation générale dépendra entièrement du degré d’empathie vis-à-vis d’eux. Mais l’auteur n’est pas dupe, s’il a mis autant de poids sur eux, c’est qu’il s’assure derrière une maîtrise rigoureuse de leur évolution, et de leur part de contribution dans l’histoire.
Cette maîtrise se caractérise par la personnalité de chacun d’eux, tous fondamentalement différents, ayant des peurs et des aspirations bien distincts. Leur manière d’assumer ou non leur destin, d’opérer des choix, de suivre leur envie ou leur devoir prend toujours une tangente inédite. En ce sens que, fatalement, chaque lecteur ou presque pourra s’identifier à l’un d’eux, et tous se demanderont ce qu’auraient été leur réaction à la place de ces personnages.
Cela dit, si les protagonistes sont bien sûr immatériels et fictifs, les situations auxquelles ils sont confrontés sont tout ce qu’il y a de plus concret, de véritable et de réaliste. Plus loin encore, la lecture approche même du simulateur de conjonctures, chacun des personnages optant pour un choix différent pour des occurrences plus ou moins proches. Évidemment, l’intérêt suprême est de voir l’aboutissement de ces choix et leur influence sur la vie de ceux qui les font.
Avec Tomas, on explorera le devoir d’amour et le libertinage. Avec Tereza, l’amour salutaire et le doute perpétuel. Avec Sabina, les relations sans chaînes et l’art de l’évasion, et avec Franz, les risques du sacrifice et de l’idolâtrie. Chaque expérimentation débouche sur une multitude de nuances qu’on a tôt fait de comparer à soi-même. De ce fait, on pourrait prendre le livre comme un miroir de notre âme qui propose le reflet d’une tranche des possibles.
Ici repose l’amour sain, il a donné jour à deux tous petits croissants et à une abeille
En plus de votre propre jugement sur les faits rapportés, l’Auteur s’intègre intelligemment dans la narration et nous accompagne tout au long de la lecture de ses observations. Des réflexions très souvent pertinentes, sinon brillantes, qui permettent d’appréhender la psychologie des hommes sous un prisme nouveau. Ainsi, de cet homme qui subit la succession du temps constituant sa vie, on décante toutes les couleurs d’une psyché, abordant les profondeurs des sentiments, du moi, du couple, de l’égoïsme, de la guerre, de l’oppression, des névroses, de la solitude, de la paix, du remord, du sexe, du malheur, de la tristesse, de l’infidélité etc.
Dis comme cela, ça pourrait vous donner l’impression d’une intellectualisation trop prononcée : que nenni. L’auteur est d’une clarté cristalline, on comprend sans aucun effort ses proférations, d’autant plus que comme dit plus haut, rien ne nous est asséné, tout est à votre portée, pour peu que vous tendiez le regard. De cet état de fait, découle une lecture particulièrement plaisante, pas du tout ennuyeuse malgré la relative longueur du récit, de celle qui nous pousse systématiquement vers le chapitre suivant.
454 Pages plus tard : Un excellent bouquin qu’on vous recommande vivement, et bien plus encore
Le bilan de la lecture de “L’insoutenable légèreté de l’être” de Milan Kundera est positif sur toute la ligne. Intelligent, pédagogue, riche, profond, le roman est une œuvre si complète qu’on pourrait la qualifier de classique de la littérature sans rien risquer. Sa place méritée se trouve aux côtés de vos meilleurs crus bibliographiques, à lire à plein mots sans concessions.
J’ai découvert avec Kundera des personnages très complexes derrière leur apparente simplicité. Je ne connaissais pas ce roman mais votre description m’a donné envie de le lire. Merci.