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La musique kabyle est-elle en train de mourir ?

Emportée dans un mouvement global de régressions particulières, la musique d’origine kabyle prend doucement le chemin de la décomposition. Diagnostic d’une pathologie culturelle ordinaire.

L’industrialisation de la culture n’est pas un phénomène nouveau. Theodor Adorno, dans sa Dialectique de la Raison (1947), en avait consacré tout un chapitre, décrivant la nature apologétique de la culture de masse. Une apologie de l’ordre établi dissociant l’éducation populaire de la culture dans l’assimilation de celle-ci au divertissement.

« S’amuser signifie toujours : ne penser à rien, oublier la souffrance même là où elle est montrée. Il s’agit, au fond, d’une forme d’impuissance. C’est effectivement une fuite mais, pas comme on le prétend, une fuite devant la triste réalité ; c’est au contraire une fuite devant la dernière volonté de résistance que cette réalité peut encore avoir laissé subsister en chacun. »

Cinquante ans après l’indépendance, force est de constater qu’ayant regagné une certaine liberté d’expression artistique, la Kabylie a atteint les sommets artistiques avec les succès de Lounes Matoub, Lounis Aït Menguellet, Taous Amrouche, Slimane Azem, Cherif Kheddam, parmi tant d’autres. Ces monuments de la culture amazighe lui ont donné ses lettres de noblesses grâce à leurs sonorités berbéro-andalouses, et leurs textes tantôt engagées, tantôt nostalgiques. Toujours authentiques, ils avaient non seulement beaucoup apporté aux genres chaâbi et raï, mais également réussi à s’exporter sans pervertir leur art.

Aujourd’hui industrialisée, la musique kabyle voit sa production de plus en plus standardisée et sérialisée. Elle cède à la mode des « tubes » reproductibles à l’infini, aux structures mélodiques et harmoniques rigides. La théorie de l’Évolution s’appliquant aussi sur l’art, a involontairement été favorisée la surabondance des chansons commerciales « qui marchent ». Ces tubes, quand ils ne se contentent pas d’être insensément dansants, se parent d’une mélancolie pseudo-romantique essoufflée. Prétendant ou contrainte à l’universalité, la chanson kabyle s’est homogénéisée – et est pour ainsi dire rentrée dans le rang –, ne jouant plus sur l’exception culturelle et l’écriture qui a fait sa force il y a 20, 30 ou 40 ans.

Qui de l’écoute-consommation ou de la création-marchandisation est arrivée la première ? Voilà une question que se poseront ceux qui auront à effectuer l’autopsie de tous les patrimoines culturels internationaux, si la condition des artistes ici et ailleurs n’est pas rendue indépendante de toute logique marchande.

Écrit par vinyculture

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